L'équation de Kaya (2/2) : se projetter

Après un premier article consacré aux variations des quatre facteurs de l’équation de Kaya et leur impact sur l’évolution des émissions de carbone, dans ce second post nous inversons la logique. En effet, les émissions de carbone font aujourd’hui l’objet d’une planification avec des répercussions nécessaires sur les autres termes de l’équation.
L’objectif de cette planification des émissions est la neutralité carbone en 2050. D’après le Haut Conseil pour le Climat, cela signifie des réductions d’émissions de gaz à effet de serre supérieure à 3% par an à partir de 2025 et jusqu’à 2050. En particulier, les émissions de dioxyde de carbone devront décroitre un peu plus vite. Evidemment, l’autre partie de l’égalité de Kaya devra diminuer de la même quantité.

Or, la flexibilité des autres termes de l’équation est limitée, par exemple l’évolution de la population sur les 30 prochaines années en France est prévisible. L’Insee fait la prévision d’une population française atteingant les 74 millions d’individus en 2050. On peut alors, en fonction de différents scénarios de croissance, imaginer l’ordre de grandeur des facteurs intensité énergétique (de la production) et carbone (de l’énergie) de notre équation.

Evolution de l’intensité énergétique et carbone en fonction des scénarios de croissance

Dans le tableau suivant, j’ai fait l’hypothèse que la variation de l’intensité énergétique de la production et la variation de l’intensité carbone de l’énergie contribuaient de manière égale à la baisse des émissions. On peut ainsi observer en fonction de différents scénarios de croissance du PIB (et non du PIB par habitant), qu’elles devront être chaque année la variation des deux facteurs.

J’ai considéré pour créer ce tableau, une réduction annuelle moyenne des émissions de 2.5% entre 2019 et 2025, puis de 3.5% entre 2025 et 2050.

Croissance 2019 - 2025 2025 - 2050
-1.5% -0.51% -1.02%
-1% -0.76% -1.27%
-0.5% -1.01% -1.52%
0% -1.26% -1.77%
0.5% -1.50% -2.01%
1% -1.75% -2.25%
1.5% -1.99% -2.49%
2% -2.23% -2.73%
2.5% -2.47% -2.97%
3% -2.71% -3.21%

Par comparaison, sur les dix dernières années, le contenu énergétique de la production a diminué de -1.76% par an en moyenne et le contenu carbone de l’énergie de -1.32%, dans le même temps le taux de croissance s’est situé autour de 1.3% par an.

Et maintenant, en prenant en compte l’évolution de la population

On peut désormais inclure l’évolution de la population telle que projeté par l’Insee. Le tableau suivant comporte de nombreuses informations.

Premièrement, deux paramètres peuvent être ajustés, la baisse annuelle des émissions et la part respective de l’intensité énergétique et carbone cet effort de réduction.

La première colonne représente les différents scénarios de croissance. Dans la seconde colonne, j’ai inscrit l’évolution correspondante du PIB par habitant. Pour le calculer, j’utilise la prévision de l’Insee d’une croissance de la population de 0.28% par an entre 2025 et 2050.

Enfin, intensité énergétique et carbone disposent chacun de trois colonnes, une première indiquant le taux de variation annuel correspondant aux paramètres choisis, une seconde montrant le nombre d’années sur la décennie écoulée pour lequel ce taux a été atteint, puis une dernière indiquant si la moyenne sur la décennie écoulée est inférieure à ce taux ou non.

Effort nécessaire pour diminuer de 3% par an les émissions par rapport à l’effort des 10 dernières années

Ce tableau permet de situer des ordres de grandeur. En revanche, il ne décrit pas exactement le niveau de l’effort qui doit être fourni. Il faut notamment considérer que les 3 éléments présents dans le tableau ne sont en rien indépendants. La baisse de l’intensité énergétique est nécessaire à la croissance dans une France en contraction de son approvisionnement énergétique. De même, plus l’intensité énergétique décroit, donc plus nous sommes efficaces énergétiquement, plus il est aisé de réduire l’intensité carbone. En effet, moins on utilise d’énergie plus il sera aisé (moins il sera cher) d’utiliser une énergie décarbonée (renouvelable, nucléaire sans nouvelles installations, hydroélectricité).

Ce dont on s’aperçoit c’est évidemment la difficulté de conjuguer croissance et baisse des émissions. En jouant avec les paramètres, on observe que l’effort des dix dernières années aurait permis une réduction de 3% par an des émissions seulement dans un scénario sans croissance et donc avec une réduction de la richesse par habitant. Dans les faits, l’économie française a crû de 1.35%, aucune surprise ici, l’effort doit s’intensifier.

En termes d’ordre de grandeur, on ne peut pas dire que l’effort est incomparable à ce qui a été fait historiquement, du moins avec une croissance très faible ou nulle. La différence tient dans le fait de diminuer de manière durable sur 3 décennies nos émissions. Alors que, comme nous l’avons vu dans le premier article, cette baisse s’est faite par à-coup : choc pétrolier, nucléarisation. De plus, chaque réduction des émissions supplémentaire est plus difficile (cher) que la précédente, puisque logiquement on a commencé par les plus faciles.

Enfin, il faudra conjuguer à cette baisse des émissions de nationales, une baisse de nos émissions importées.

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Alexis Konarski
Consultant Développement Durable

Passionné et préoccupé par les enjeux du développement durable je partage sur ce site quelques articles sur le sujet.

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