L'accréditation morale : un effet rebond pernicieux

L’effet rebond est un facteur limitant bien connu des interventions environnementales. C’est par exemple, le constat qu’une partie des économies d’énergies prévues suite à une rénovation est souvent effacée par une augmentation du confort thermique.

Mais comment expliquer que lorsqu’un ménage reçoit des informations hebdomadaires sur sa consommation d’eau, il diminue celle-ci, mais dans le même temps augmente sa consommation d’électricité (Tiefenbeck et al., 2013) ?

Le premier effet rebond présenté s’explique assez facilement dans le cadre économique classique. C’est un effet revenu, une partie des gains liés aux travaux de rénovations énergétiques sont alloués à une augmentation du confort thermique (Madlener and Alcott, 2009). En revanche, dans l'étude menée par Tiefenbeck l’effet revenu peut-être ignoré. En effet, les locataires des résidences étudiées ne payent pas pour l’eau qu’ils consomment. Les auteurs de l’étude voient un autre effet à l’oeuvre : l’accréditation morale (moral licensing en anglais).

Il existe une tension dans la recherche entre deux concepts regardant les comportements pro-environnementaux. D’un côté, des chercheurs défendent l’idée d’un entraînement positif (positive spillover), l’adoption d’un comportement pro-environnemental a un effet indirect positif sur d’autres comportements (Nash et al., 2017). En revanche, d’autres études révélent qu’un comportement pro-environnemental passé peut empêcher un comportement positif futur (Truelove et al., 2014). Ces études montrent l’existence d’une comptabilité morale, l’adoption de comportements positifs octroie des crédits moraux qui permettent de justifier un comportement plus douteux par la suite.

C’est ce concept de comptabilité morale qui, selon les chercheurs, cause l’augmentation de la consommation d’électricité corrélée à une baisse de la consommation d’eau. Dans ce cas, la consommation d'énergie associée aux surplus d'électricité est six fois supérieure à l'économie permise par la réduction de la quantité d’eau consommée, questionnant le bien-fondé, ou au moins les techniques à employer, des politiques d’informations sur l’efficacité énergétique.

Mais les implications de la comptabilité morale ne s’arrêtent pas là. En effet, d’autres travaux ont montré des résultats similaires. Par exemple, une étude menée par John List, cherchant à démontrer que des travailleurs dans une entreprise responsable seraient plus honnêtes et travailleraient plus dur est arrivée à des conclusions complètement inverses (List and Momeni, 2017). Les travailleurs étaient recrutés pour un petit travail, permettant d’empocher quelques dollars. Avant d’effectuer le travail, mais après le recrutement, une partie des travailleurs fut informée qu’une fraction des gains associés à leur travail serait reversée à l’UNICEF (sans diminuer leur gain personnel). La tâche demandée permettait de tricher facilement tout en gagnant la même somme. Contrairement aux attentes, les travailleurs dans l’environnement responsable ont été 24% plus nombreux à tricher. Pour en savoir plus, vous pouvez écouter cet épisode de Freakonomics : Does Doing Good Give You License to Be Bad.

L’accréditation morale peut donc constituer un frein aux changements de comportements pro-environnementaux, elle peut même rendre ces changements contre-productifs. Il est établi que la connaissance des impacts écologiques de différents comportements est au mieux flou chez de nombreux individus (Attari et al., 2010), ainsi l’octroie de crédits moraux pour une action perçue comme très positive pourrait justifier une autre action en réalité bien plus néfaste. C’est pourquoi il est d’autant plus important d’éduquer et d’informer la population et les dirigeants d’entreprise des ordres de grandeur liés aux décisions qu’ils sont en capacité de prendre.

Pour conclure cet article sur une note plus positive, revenons à notre tension entre accréditation morale et entraînement positif. La source de cette tension se retrouve dans deux concepts psychologiques qui vont pousser l’individu vers deux directions opposées à la suite d’un comportement pro-environnemental. Le premier, la comptabilité morale va comme nous l’avons expliqué l’entraîner vers des comportements moins vertueux. Le second est le désir d’agir de manière consistante, qui va pousser l’individu à persévérer dans des comportements positifs (Bem, 1972; Conway and Peetz, 2012). Or, des recherches montrent que l’effet d’entraînement est plus fréquent chez les personnes possédant de fortes valeurs de respects de l’environnement (Thøgersen and Ölander, 2003). Une revue de littérature caractérise les décisions prises à l’affect comme étant susceptibles de générer des actions secondaires négatives, tandis que celles prises par rapport à un rôle auraient un effet d’entraînement vers davantage d’actions positives (Truelove et al., 2014).

Enfin et dans la lignée de la dernière étude citée, une étude nous permet de mieux formuler nos objectifs pour échapper à l’accréditation morale. D’après Fishbach and Dhar (2005), si nos comportements sont interprétés comme des progrès vers un but ils risquent de justifier des actions inconsistantes avec ce but. Au contraire, quand les actions sont interprétées comme un engagement à un but, alors cela suscite la poursuite de ce but.

Bibliographie


Attari, S.Z., DeKay, M.L., Davidson, C.I., De Bruin, W.B., 2010. Public perceptions of energy consumption and savings. Proc. Natl. Acad. Sci. 107, 16054–16059.

Bem, D.J., 1972. Self-perception theory. Adv. Exp. Soc. Psychol. 6, 1–62.

Conway, P., Peetz, J., 2012. When does feeling moral actually make you a better person? Conceptual abstraction moderates whether past moral deeds motivate consistency or compensatory behavior. Pers. Soc. Psychol. Bull. 38, 907–919.

Fishbach, A., Dhar, R., 2005. Goals as excuses or guides: The liberating effect of perceived goal progress on choice. J. Consum. Res. 32, 370–377.

List, J.A., Momeni, F., 2017. When Corporate Social Responsibility Backfires: Theory and Evidence from a Natural Field Experiment (SSRN Scholarly Paper No. ID 3095130). Social Science Research Network, Rochester, NY.

Madlener, R., Alcott, B., 2009. Energy rebound and economic growth: A review of the main issues and research needs. Energy, WESC 2006 34, 370–376. https://doi.org/10.1016/j.energy.2008.10.011

Nash, N., Whitmarsh, L., Capstick, S., Hargreaves, T., Poortinga, W., Thomas, G., Sautkina, E., Xenias, D., 2017. Climate‐relevant behavioral spillover and the potential contribution of social practice theory. Wiley Interdiscip. Rev. Clim. Change 8, e481.

Thøgersen, J., Ölander, F., 2003. Spillover of environment-friendly consumer behaviour. J. Environ. Psychol. 23, 225–236.

Tiefenbeck, V., Staake, T., Roth, K., Sachs, O., 2013. For better or for worse? Empirical evidence of moral licensing in a behavioral energy conservation campaign. Energy Policy 57, 160–171. https://doi.org/10.1016/j.enpol.2013.01.021

Truelove, H.B., Carrico, A.R., Weber, E.U., Raimi, K.T., Vandenbergh, M.P., 2014. Positive and negative spillover of pro-environmental behavior: An integrative review and theoretical framework. Glob. Environ. Change 29, 127–138. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2014.09.004

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Alexis Konarski
Consultant Développement Durable

Passionné et préoccupé par les enjeux du développement durable je partage sur ce site quelques articles sur le sujet.

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