Misbehaving et DD : La différence juste perceptible - Théorie de la valeur (1/2)

Vous pouvez retrouver ici l’introduction de cette série d’articles et une rapide présentation de l'économie comportementale

Présentation du concept

La théorie de la valeur est un bloc fondateur de l'économie comportementale, c’est la manière dont une perte ou un gain dans un domaine affecte notre utilité (bonheur). Les deux prochains articles sont consacrés aux enseignements de la théorie de la valeur telle qu’elle a été développée par les économistes comportementaux. Ce premier traite de la différence juste perceptible (ou seuil de discrimination). Le second s’intéressera à l’aversion à la perte.

Pour commencer utilisons une petite histoire pour illustrer le concept, voici comment Thaler l’introduit dans son livre.

Imaginons que vous alliez dans un magasin d'électronique acheter un radio-réveil. Votre choix se porte sur un modèle à 30€, généreux le vendeur vous indique que vous pouvez acheter le même modèle pour 10€ de moins dans un magasin situé à 10 minutes de voiture.
Quel est votre choix ?

Imaginons maintenant que vous vous rendiez dans le même magasin pour y acheter un téléviseur à 495€. Le vendeur vous indique que le même modèle est disponible pour 10€ de moins dans un autre magasin à 10 minutes de voiture.
Quel est votre choix ? Probablement pas le même. Pourtant, l'équation est identique, 10 minutes de voiture permettent d'économiser 10€. C’est une illustration de la loi de Weber-Fechner.

La loi de Weber-Fechner veut que pour toute variable, la différence juste perceptible soit proportionnelle à la grandeur de la variable. La différence juste perceptible étant le point de bascule à partir duquel le comportement de l’agent est modifié.

L'être humain raisonne en prix relatif au prix de référence et non en prix absolu, et il est ainsi prêt à faire davantage d’effort pour une même économie sur un produit moins cher.

On retrouve ici le concept d’utilité marginale décroissante, illustré par le graphique ci-dessous. Cependant, l’utilité ne dépend pas uniquement de notre richesse absolue, mais du point de référence, l’utilité de 10€ varie qu’on la compare à une valeur de 30€ ou de 500€ toutes choses étant égales par ailleurs.

Quelles conséquences pour le développement durable ?

Les propositions effectuées ici restent des ébauches et ne sont pas exhaustives.

Augmenter ses prix suite à l’adoption de pratiques responsables

Cette première application de la loi de Weber-Fechner est bien connue dans le marketing. Prenons pour exemple une entreprise de la mode qui cherche à entrer dans une démarche plus responsable. Imaginons qu’elle décide de remplacer son coton par du coton bio. Un surcoût va nécessairement émerger, et se pose la question de comment le facturer aux consommateurs.
Une manière à priori logique de raisonner est de simplement affecter le surcoût aux produits en fonction de leur quantité de coton. La différence entre nouveau et ancien prix reflète ainsi pour chaque produit le surcoût lié à la nouvelle politique d’approvisionnement.
La loi de Weber-Fechner nous conseille un raisonnement un peu différent. Il est préférable de comptabiliser le surcoût total et de l’affecter à chaque produit en fonction de son prix de départ, de manière à ce que l’augmentation relative du prix soit la même pour tous les produits. En effet, l’acheteur sera prêt à payer plus la même différence de qualité (50g de coton bio en lieu et place de 50g de coton non-bio), pour un produit plus cher au départ.

Construire une taxe carbone

L’objectif d’une taxe carbone est d’orienter le choix des consommateurs vers des produits qui émettent moins de gaz à effet de serre. Logiquement, on taxe donc la quantité de gaz à effet de serre engendrée par l’utilisation du produit.

Dans un monde parfaitement rationnel, le consommateur considérerait ce surplus indépendamment du prix du produit. Une taxe de 1€ sur un produit valant 50€ devrait engendrer la même diminution de l’utilité qu’une taxe de 1€ sur un produit en valant 10 (toute chose étant égale par ailleurs, l’achat doit être aussi fréquent notamment).

Prenons deux produits alimentaires fictifs, que nous appellerons “viande” et “légume” pour illustrer :

Produit Quantité Prix Émissions Taxe Taxe / Prix
Viande 1 kg 40€ 20 kgCO2 2€ 5%
Légume 1 kg 2€ 1 kgCO2 0,1€ 5%

Dans ce cas fictif, la taxe carbone est de 10 centimes pour chaque kilogramme de CO2 émis. On voit que notre premier produit appelé “viande” émet beaucoup plus pour une même quantité du second produit “légume”, il en résulte une taxe plus importante. Mais rapporté au prix du produit celle-ci est de la même grandeur relative que la taxe sur le second produit. Il en résulte, puisque le consommateur raisonne en prix relatif, que les deux produits souffriront de la même baisse d’utilité suite à l’application de la taxe.

Que faut-il en déduire ?
Premièrement, qu’une taxe carbone s’appliquant aveuglement du prix et du type de produit serait probablement contre-productive. Je ne crois pas non plus qu’il faille en déduire que la taxe devrait prendre en compte le prix du produit dans son calcul.
En revanche, il m’apparait certain que la taxe doit prendre en compte le secteur auquel elle s’applique. Dans le cas de l’alimentaire, la taxe devrait par exemple prendre en compte la quantité d'émission par kilo de produit, ou par calorie.

Réaliser plusieurs objectifs plus modestes sera plus facile qu’un seul objectif très ambitieux

Prenons l’exemple d’une personne voulant réduire ses émissions de carbones. On lui propose 3 menus d’actions qui permettent de réduire d’autant ses émissions :

  • Devenir végétarien, ne pas changer ses habitudes de déplacement
  • Réduire de moitié sa consommation de viande, se rendre à son travail 2 jours sur 3 en vélo
  • Se rendre sur son lieu de travail tous les jours en vélo, ne pas changer ses habitudes alimentaires

Le menu intermédiaire est probablement celui qui demandera le moins d’efforts.

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Alexis Konarski
Consultant Développement Durable

Passionné et préoccupé par les enjeux du développement durable je partage sur ce site quelques articles sur le sujet.

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